SA DEPORTATION EN ALGERIE
« Le 1er mars 1941, un gardien vient me dire de me préparer parce que je vais partir. Un convoi d’environ 250 internés est formé. Nous rejoignons le camp de Saint Germain les Belles où nous nous réunissons à un autre convoi d’internés. Les gendarmes nous font monter dans un autre train. Aucun d’entre eux ne veut nous dire où nous partons. Le train nous amène jusqu’à Port-Vendres. Un bateau de transport de moutons, le Djebel Nadar, nous y attend.
« Pour monter à bord, nous passons entre deux rangées de G.M.R. Il nous est toujours impossible de connaître notre destination.
« Nous comprenons, en débarquant le surlendemain à Alger, que notre voyage n’est pas terminé. On nous emmène directement par le train en gare de Blida qui n’est pas le terminus du voyage. Pour le poursuivre, nous sommes entassés dans des wagons à bestiaux (les trop fameux 8 chevaux, 40 hommes). Ce train, tiré par deux machines à cause du relief très accidenté, s’enfonce dans le sud algérien. Finalement, le 4 mars, nous débarquons en gare de Djelfa.
« Là, un fort nous attend. Nos geôliers se sont tellement dépêchés que rien n’est prêt. Les pièces sont vides. Il n’y a rien à manger et nous allons coucher à même le ciment. Comme bienvenue, le commandant nous dit qu’il aura notre peau.
« Peu après arrive un second convoi ; il n’y a plus de place pour les accueillir. Les nouveaux arrivants sont obligés de coucher sous des marabouts de fortune. Les plus valides d’entre nous sont envoyés au sud de la ville pour construire un camp entouré de barbelés. A cette époque de l’année, il ne fait pas bon car il pleut beaucoup. Nous logeons par groupe de six sous les marabouts et comme de bien entendu, nous n’avons pas grand chose à manger. On reçoit peu de courrier, il est contrôlé à Alger et à Djelfa.
« Un jour, nous recevons la visite d’un général et, pour cette visite, nous avons mis en place une délégation pour lui transmettre nos doléances. Quand il voit notre état et rencontre nos délégués, il annonce : « Nous allons vous tirer de là, et là où vous irez, vous serez mieux ! »
« Effectivement, le 19 avril, on nous fait partir pour le sud de l’Oranie. Le départ est donné le vendredi soir, nous voyageons pendant trois jours et ne mangeons que deux fois, le samedi rien, le dimanche midi, nous avons droit à un œuf, deux sardines et un petit morceau de pain. Le dimanche soir, nous retrouvons la gare de Blida. Notre train prend alors la ligne vers le Maroc. A Sidi-Bel-Abbès, où nous faisons un arrêt, nous recevons royalement une demi-assiette de lentilles avec un morceau de pain.
« Puis le train repart. Nous arrivons enfin à une petite gare : « tout le monde descend ! »
« Il est une heure de l’après midi, nous avons faim.
« Deux lieutenants nous attendent sur le quai, mais nous ne sommes pas encore arrivés, notre destination est le camp de Bossuet. Il se trouve à 17 kilomètres de la gare, en pleine montagne (1 500 mètres d’altitude). Nous y arrivons vers 19 heures. Un repas nous est servi, le même que celui des soldats.
« Dans les pièces où nous entrons, nous trouvons des châlits à quatre places. Ils s’avèrent bourrés de punaises, il est impossible de dormir. Dès qu’il fait bon, nous couchons dehors. Notre situation s’est légèrement améliorée.
« Sur les 500 que nous sommes, 480 sont des communistes. Ils sont de toutes les régions de France, de toutes les conditions sociales : des ouvriers, des paysans, des employés, des gens de classe moyenne et beaucoup d’intellectuels.
« A titre d’exemple, sur le groupe de 11 bourbonnais que nous sommes, nous comptons 3 instituteurs : Jacques GUILLAUMIN de Vichy, Pierre VALIGNAT et André SERVANT de Montluçon. Mon chef de chambre est Roger GARAUDY, professeur de philosophie au lycée Lapeyrouse à Albi. Il y a aussi 5 officiers. Ils ne portent pas leurs galons mais arborent toutes les décorations qu’ils ont obtenues durant la première guerre mondiale.
« Nos conditions de vie ne sont pas aussi rudes qu’à Djelfa où sont enfermés les anciens combattants des Brigades internationales et des Espagnols de l’armée républicaine. Il y aura beaucoup de morts parmi eux.
« A Bossuet, nous comptons relativement peu de morts, pourtant nous n’avons rien pour nous soigner. Les malades restent couchés dans la chambre. Nous avons cependant un médecin et un chirurgien parmi les détenus mais, faute de médicaments, ils ne peuvent rien pour les soigner. Le camarade Elie AUGUSTIN (secrétaire de la fédération communiste du Tarn) est très malade, il s’éteint le 16 septembre 1941, le jour de son anniversaire.
« Malade, j’ai la chance, avec deux autres camarades, d’être transféré à l’hôpital d’Oran. Là non plus, pas de médicament pour nous soigner mais nous couchons dans un lit et la nourriture est meilleure, plus abondante.
« Enfin, le 8 novembre 1942, arrive le débarquement allié. Les nouvelles autorités commencent à nous libérer, petit à petit.
« Les premiers dehors sont les 27 députés communistes enfermés à Alger. Ils vont, à leur tour, se démener pour obtenir notre libération. Je quitte Bossuet parmi les derniers, nous sommes en mai 1943.
« Je ne rentre pas tout de suite en France et pour cause : il n’y a pas de communications entre la France occupée par les Allemands et l’Algérie.
« Après un an de travail dans un club d’officiers américains, je m’engage pour la durée de la guerre. Je pense aller me battre en France avec les copains. En fait, ils m’envoient dans un régiment d’artillerie à Tlemcen.
« De là, je pars ensuite à Constantine, dans une section d’infirmiers puis à Sétif : je suis affecté à l’hôpital militaire où je tiens les registres d’entrée.
« Cela dure jusqu’au jour où le commandant de l’hôpital arrive et nous demande de l’informer s’il y a d’anciens détenus politiques en cours de soins : il veut les faire rentrer en France. Je me signale et lui montre mon certificat.
« Je pars ensuite pour Alger où j’arrive le 10 décembre 1944. J’embarque sur le Sidi Brahim le 25 décembre.
« Après trois jours de traversée, je débarque en France et j’arrive chez moi, le 31 décembre, après une absence de près de quatre ans ».
Il est inutile de rappeler que les conditions d’hygiène, avec les mesures répressives quotidiennes, étaient d’un autre siècle ; n’oublions pas de rappeler aussi qu’on a recensé plus de 50 morts à Djelfa.[1]
[1] Paul CHAUPIN la déportation en Algérie